Romulus Augustule, dernier empereur romain sorti sans bruit de l’Histoire

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Portrait de Romulus Auguste sur une monnaie extrêmement rare, un tremissis en or (1,5 g), frappé à Rome entre octobre 475 et septembre 476.

Un Empire épuisé, un enfant sur le trône

Quand on pense à la chute de Rome, on imagine des batailles sanglantes ou des conspirations grandioses. Mais la réalité de l’année 476 fut bien plus terne. À la toute fin du Ve siècle, l’Empire romain d’Occident ne tient déjà plus qu’à un fil. Son territoire s’est dissous, sa capitale Ravenne s’enferme dans l’insécurité et la désorganisation, et ses armées, composées de mercenaires, obéissent davantage à leurs propres chefs qu’à un État en lambeaux. Ailleurs, les Wisigoths règnent sur le sud de la Gaule, les Francs avancent au nord, l’Afrique romaine s’est envolée avec les Vandales. L’Empire existe encore, mais seulement de nom : il ne gouverne plus rien, sinon le symbole des institutions à l’agonie.

Dans ce décor crépusculaire, arrive un gamin que rien ne destinait à la postérité : Romulus Augustule.Fils du général Oreste — ancien officier romain ayant servi aussi bien à la cour d’Attila le Hun qu’auprès des élites de l’Empire — le jeune Romulus est propulsé sur le trône par un simple jeu d’influence. Oreste, ambitieux et habile manœuvrier, profite de la confusion politique pour renverser l’empereur légitime et installer son propre fils, misant sur l’autorité du nom plus que sur la solidité du pouvoir. On lui donne le prénom du fondateur de Rome et le diminutif moqueur d’Augustule, “petit Auguste”, pour mieux souligner l’ironie de la situation : tout respire la fin d’un monde.

Un pouvoir vidé de sens

À peine adolescent, Romulus Augustule ne contrôle rien. Il est, littéralement, un empereur de paille. Les véritables décisions se prennent ailleurs, l’État ne paie plus ses troupes, les cités cherchent leur salut en dehors du système impérial, et le Sénat ne pèse plus que l’ombre de lui-même. L’Italie elle-même n’échappe plus au chaos. Le pouvoir, vidé de substance, ne survit que par routine, dans une indifférence presque totale.

Quand le chef barbare Odoacre, chef des mercenaires fédérés d’origines diverses, réclame que ses hommes reçoivent des terres en Italie, Oreste refuse et tente de tenir tête. Odoacre n’est pas un simple chef de guerre : d’origine germanique, il s’est imposé à la tête des troupes dites “fédérées” — ces auxiliaires barbares devenus indispensables à la défense de l’Italie, mais dont la fidélité ne va plus à Rome. Redoutable stratège, pragmatique et sans illusion sur la survie de l’Empire, il saisit l’occasion de s’emparer du pouvoir réel. Il n’en faut pas plus pour déclencher la chute : Odoacre élimine Oreste, marche sur Ravenne, et dépose Romulus sans rencontrer de résistance. Personne ne lève le petit doigt. Pas de coup d’État sanglant, pas d’assassinat spectaculaire. L’Empire romain d’Occident tombe dans un silence presque solennel, sans bataille ni passion.

Une éviction discrète, un destin effacé

La suite de son existence ressemble à une longue parenthèse sans relief. Installé à Misène, dans la baie de Naples, Romulus bénéficie d’une tranquillité rare pour un ancien empereur, loin des intrigues et des règlements de comptes qui ont souvent scellé le sort de ses prédécesseurs. Certains historiens avancent même qu’une rente confortable lui aurait été attribuée par Odoacre : une somme régulière censée lui garantir le nécessaire sans jamais lui permettre de jouer à nouveau un rôle politique. Son nom disparaît des chroniques, aucune rumeur ne circule sur une tentative de retour ou de vengeance, et les générations suivantes ne trouveront dans son histoire qu’une silhouette floue. La postérité lui a donc réservé l’étrange sort de vivre assez longtemps pour être oublié sans provoquer la moindre nostalgie : à rebours des tragédies impériales, son sort illustre cette forme ultime de défaite où l’on cesse même d’être une menace pour ceux qui vous ont renversé.

Une fin d’Empire… ou seulement un changement de décor ?

Le plus frappant dans cette histoire, c’est la réaction de la société romaine : rien, ou presque. Le Sénat, réduit à quelques notables impuissants, écrit à Constantinople pour annoncer que l’Occident n’a plus besoin d’empereur et retourne poliment les insignes impériaux à l’empereur d’Orient. Pour la population, le changement de régime n’est qu’une péripétie de plus, un événement parmi d’autres dans une époque saturée de bouleversements et d’incertitude. Les villes, habituées à la valse des souverains et aux menaces extérieures, poursuivent leur existence, souvent bien loin des préoccupations politiques de la capitale. Aucun soulèvement, aucune effusion de colère, pas même une vague de nostalgie ne vient troubler la transition.
Ce sont les historiens, bien plus tard, qui feront de Romulus Augustule l’incarnation symbolique d’une époque disparue : moins par souci de vérité que pour fixer une date commode à la fin d’un monde. Le mythe de la “chute de Rome” naît en partie de ce besoin d’un repère simple, d’une figure claire, dans une histoire qui, sur le moment, n’a laissé que très peu d’émotion ou de remous dans la société romaine elle-même.

Ce que dit l’historiographie

Longtemps, la date de 476, marquée par la déposition de Romulus Augustule, a servi de borne symbolique : la “chute de Rome”. Mais aujourd’hui, les historiens insistent sur la lenteur du déclin : l’Empire d’Occident ne s’effondre pas en un jour, et le pouvoir impérial subsiste localement, bien après la fin officielle du règne.
Le choix de Romulus Augustule comme “dernier empereur” doit autant à la force de son nom qu’à un besoin de repère dans le récit occidental, alors même que d’autres prétendants, comme Julius Nepos, continuent d’agir après 476.
Finalement, Romulus n’est qu’un symbole commode : sa vie sans éclat reflète la fatigue d’une civilisation qui se défait plus qu’elle ne s’effondre. Pour l’historiographie moderne, la chute de Rome n’est plus un coup de tonnerre, mais le terme d’une longue agonie, au cours de laquelle institutions, pouvoirs et souvenirs passent sans bruit d’un monde à l’autre. Et pendant ce temps là, de l’autre côté de la Méditerranée, l’empire romain d’Orient continuera sa route pour un millénaire de plus…


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La vraie histoire de Romulus Augustule, et des autres grands “ratés” de l’Histoire, c’est aussi celle des échecs ordinaires, des fins sans bruit, des symboles trop lourds à porter.
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Ici, les vaincus ont enfin la parole.


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